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À la recherche des gènes de l’autisme

Enfants et adultes, environ 500 000 personnes sont concernées par l'autisme en France.

Un article signé Thomas Bourgeron.

 

Je vais vous parler d’autisme et pour cela je vais vous présenter deux personnes, bien réelles. Gabin, qui est une personne avec un autisme et une déficience intellectuelle très sévère. Il a 15 ans, vit à Paris. Son père, l’humoriste Laurent Savard, raconte sa vie dans un récit tendre et drôle paru l’an dernier.

À côté, il y a Joseph Schovanec, qui lui a un doctorat en philosophie. Il sait parler plusieurs langues, parcourt le monde, écrit des livres. Je vous invite à les lire, ils sont extraordinaires et pleins d’humanité.

Alors que ces deux personnes ont l’air d’être très différentes, toutes deux sont diagnostiquées avec autisme. Vous voyez ainsi toute la complexité de l’autisme, ce trouble neurodéveloppemental pour lequel les Nations unies organisent, le 2 avril, une journée mondiale de sensibilisation. Entre Gabin et Joseph, il y a à peu près 500 000 personnes concernées par l’autisme en France. Il y a tous les âges. On dit toujours les « enfants avec autisme » mais il y a aussi des personnes âgées avec autisme. Il y a plus de garçons que de filles, même si ces dernières sont sans doute sous-diagnostiquées.

Joseph aurait besoin que la société soit plus tolérante vis-à-vis de l’autisme et de la neurodiversité, c’est-à-dire la variabilité dans l’agencement du cerveau au sein de l’espèce humaine. Gabin, lui, a besoin d’aide médicale pour augmenter ses capacités à apprendre et avoir des interactions sociales plus importantes.

Pour essayer d’aider ces personnes, on cherche à comprendre les causes de l’autisme, par exemple quels sont les gènes impliqués. Ma vie de chercheur, c’est ça : je regarde le génome. Je suis face à un écran d’ordinateur couvert de lignes composées de quatre lettres, T, G, C, A. Ces 2 mètres d’ADN, qui sont dans chacune de vos cellules, comportent 3 milliards de lettres. Et si on comparait votre génome avec le mien, la différence entre vous et moi ce serait à peu près une lettre toutes les mille lettres (paires de base), soit environ 3 millions de variations génétiques.

Quand nous regardons le génome décrypté d’une personne, seules les lettres différentes entre les individus apparaissent en couleur sur l’écran. Certaines sont indiquées en vert – qu’il s’agisse d’un T, d’un G, d’un C ou d’un A, peu importe. Le vert signifie qu’il y a peu de conséquences pour l’individu. On dit que ces variations sont « neutres ». Il y a aussi des lettres orange : ce sont elles qui font par exemple que vous êtes brune ou blonde, des différences qui n’ont pas non plus des conséquences catastrophiques… Par contre il y a des lettres rouges : ces mutations-là vont augmenter le risque d’une maladie.

Le problème, pour les laboratoires de recherche comme le nôtre, c’est qu’au départ, quand on séquence l’ADN, on a les variations mais on n’a pas la couleur. Tout le travail de mon équipe, au Laboratoire de génétique humaine et fonctions cognitives de l’institut Pasteur, c’est d’essayer de comprendre, pour chacune de ces lettres, si elle est verte (neutre), orange (associée à un faible effet) ou rouge (associée à un risque fort d’avoir une maladie).

Le premier gène impliqué dans l’autisme identifié en 2003

Ainsi, nous avons identifié en 2003 puis en 2006 les premiers gènes impliqués dans l’autisme. Une lettre rouge, c’est ainsi qu’apparaît à l’écran la mutation qu’on a trouvée chez Gabin, le garçon dont je vous parlais un peu plus tôt. Gabin a une mutation dans un gène qui s’appelle SHANK3.

Pourquoi on pense qu’on a trouvé, avec SHANK3, un gène impliqué dans l’autisme ? D’abord, parce que cette petite mutation est arrivée uniquement chez l’enfant. Les parents de Gabin, non autistes, ne l’avaient pas. C’est une mutation dite de novo.

Le deuxième argument, c’est que cette mutation, elle casse la protéine qui est codée par le gène. Or cette protéine joue un rôle crucial dans l’établissement des synapses, ces espaces de connexion entre les neurones.

Et le troisième argument, c’est qu’on a trouvé d’autres enfants comme Gabin, qui avaient un autisme très sévère et étaient mutés dans ce gène. Alors qu’on n’avait jamais trouvé ce type de mutation chez des personnes « neurotypiques », c’est-à-dire non autistes. C’est ce faisceau d’arguments qui nous dit qu’on a bien trouvé un gène impliqué dans l’autisme.

Savoir ce que font ces gènes

Des chercheurs chinois, japonais, américains ont trouvé des mutations similaires. Plus de 200 gènes ont été identifiés à ce jour dans l’autisme à travers le monde, par différentes équipes. La question maintenant, ce n’est plus de savoir si il y a des gènes impliqués dans l’autisme ; c’est de savoir ce qu’ils font.

Et là on a eu beaucoup de chance, parce que les neurobiologistes connaissaient déjà bon nombre de ces gènes, comme les neuroligines et SHANK3. Ils ne savaient pas que ces gènes étaient impliqués dans l’autisme, mais ils savaient qu’ils fabriquaient des connexions entre les neurones.

On peut observer des neurones au microscope dans une boîte de Petri, ce cylindre transparent utilisé dans tous les laboratoires. Sur le neurone normal, on voit de nombreux petits points le long de la fibre nerveuse : ce sont les synapses, les points de contact entre les neurones dont on parlait plus haut. Sur le neurone mutant, on voit beaucoup moins de ces synapses.

Plus récemment, nous avons montré qu’il y avait ce type d’anomalies dans les neurones issus de cellules souches pluripotentes induites des patients ayant ces mutations. Maintenant, nous voulons savoir ce qui se passe dans le cerveau : est-ce que ces mutations vont changer quelque chose au niveau du comportement de la personne ?

Des interactions sociales perturbées chez la souris mutée

Pour cela, au laboratoire, on a des souris. On prend une souris mâle, une souris tout à fait normale, et on va mettre une femelle en chaleur dans sa cage. Si vous n’avez jamais vu une femelle en chaleur et un mâle ensemble dans une cage, voilà ce que ça fait : les deux se poursuivent d’un coin à l’autre de la cage.

Nous avons fait ensuite la même expérience, en 2012, avec une souris mutée dans le gène SHANK2, un gène similaire à SHANK3 et associé lui aussi à l’autisme. On voit tout de suite la différence : le mâle reste de son côté et ne montre aucun intérêt pour la femelle.

Quand j’ai identifié ces gènes il y a une dizaine d’années, je ne pensais pas qu’on allait avoir, chez la souris, des interactions sociales aussi perturbées.

Au-dessus de la cage, il y a un micro. On le sait peu mais en fait, les souris chantent… Élodie Ey, une spécialiste de la vocalisation animale dans mon laboratoire, a montré que ces souris mutées avaient des problèmes de vocalisation : elles vocalisaient moins et différemment.

The ConversationAinsi, on peut travailler sur l’autisme sans stigmatiser les personnes avec autisme, toutes ensemble, pour les aider elles et leurs familles. Nous espérons qu’une meilleure connaissance de ces gènes et de leurs fonctions aidera à une meilleure prise en charge et une plus grande inclusion des personnes avec autisme dans la société.

Thomas Bourgeron, Professeur en génétique humaine, Université Paris Diderot – USPC

 

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Laboratoire

Génétique humaine et fonctions cognitives

Notre groupe regroupe psychiatres, neuroscientifiques et généticiens pour comprendre les causes de l’autisme. Le groupe développe de nouvelles méthodes pour analyser et partager les données de séquençage et les données d’imagerie cérébrales.