Hommage à François Brunet
Jean-Marie Fournier, directeur de l'UFR Études anglophones signe ici un hommage au nom de toutes celles et ceux qui ont eu la chance de travailler et d'étudier aux côtés de François Brunet.
François Brunet nous a quittés le matin de Noël 2018, dans sa cinquante-neuvième année. Rien ne laissait présager ce départ et rien ne peut en atténuer le choc pour ses proches, ses amis, ses étudiants et ses collègues, ceux de l’UFR d’Etudes Anglophones, du LARCA et de l’université Paris Diderot mais plus largement pour tous ceux avec qui, en France et à l’étranger, il avait tissé des relations de travail, de recherche et d’amitié.
Il est difficile de mettre des mots sur une disparition aussi brutale et d’ailleurs l’unanimité et l’intensité rares et souvent silencieuses de l’émotion suscitée pourraient suffire à elles seules à décrire le sourire, l’intensité, le rayonnement de François et les multiples liens qu’il avait tissés comme à témoigner de l’estime et de l’affection que tous éprouvaient pour celui qui avait le don rare de savoir faire à peu près tout pour tout le monde.
Ce qui définissait le mieux François était peut-être d’abord l’extraordinaire capacité qu’il avait de se tourner sans réserve vers quiconque venait lui parler, de s’effacer pour mieux écouter ce que l’on avait à lui dire, ce que l’on avait parfois simplement à dire. Cette pleine disponibilité à autrui le rendait d’une certaine façon insaisissable, non par plaisir ni par jeu mais par modestie et indifférence à soi-même et parce qu’il estimait devoir se taire pour laisser plus de place à l’autre qui se tenait devant lui : dès lors, au moment de dessiner son caractère, l’on s’aperçoit que l’on sait peu de choses sur lui que l’on croyait pourtant bien connaître. Quoi qu’il en soit, c’est cette magnifique capacité à se tourner vers, à s’ouvrir à ce qui lui était proposé, à discerner le meilleur par-delà les broutilles et les défauts, que louent d’abord ceux qui ont croisé sa route. François présentait ainsi les dehors d’un mystère, ce qui peut-être ne déplaisait pas à son côté taquin, d’un mystère proche, souriant et bougon, accessible, aimé et respecté, si présent et si pudique, qui vous scrutait jusqu’au fond des yeux avec bonhomie.
François était par ailleurs une conscience éminente. De cela il ne faisait pas mystère et ses engagements sont connus. Une conscience inquiète, jamais satisfaite, traquant toujours le faux-fuyant, le compromis, la tangente, le mot inexact où il voyait toujours le risque d’un mensonge à venir ; une conscience rigide dans ses valeurs, et souple dans son humanité ; une conscience sans compromis mais ouverte à la compréhension : la conscience d’un homme aguerri aux textes, buriné par les combats, pétri de convictions, sachant douter de soi. Une conscience, enfin, incarnée et à l’œuvre : des années durant, il fut un élu infatigable et exemplaire, toujours là, toujours vigilant, doté d’une extraordinaire capacité à voir les enjeux, présents et à venir, à comprendre à la fois leur détail immédiat et technique et leur contexte large. Son engagement fut total et ses prises de parole, souvent brèves et parfois elliptiques, essentielles. Engagé dans les conseils centraux, il fut aussi très impliqué dans la vie de l’UFR où il dirigea en particulier le LARCA au moment si délicat de sa transformation en UMR, une transformation pour laquelle sa vision, sa capacité de travail, son entregent et sa surface scientifique furent déterminants. Par passion et sens du devoir, François mettait dans tout ce qu’il avait entrepris une même et inépuisable énergie : de la conduite de la politique de recherche de l’équipe à celle de ses propres projets, de l’encadrement de ses mastérants ou de ses doctorants à celui de ses étudiants de licence, il se faisait une gloire d’apporter à tout la même rigueur et le même engagement sans repentance ni réserve. La Classe Exceptionnelle des Professeurs et la reconnaissance que lui avait accordée le jury de l’IUF ont, entre autres, salué ces vertus, et rarement le qualificatif d’« exceptionnel » fut plus mérité.
A la conscience aiguë qu’il avait de l’importance de ses missions, François ajoutait une remarquable acuité de perception, ce qui faisait de lui un critique au sens le plus fort du terme, tout en lucidité bienveillante et qui, sans jamais cesser de voir les défauts et les manques, savait et voulait pointer son regard et celui des autres vers ce qui était fort, vers ce qui était positif. Critique remarquable, François était naturellement aussi et pour la même raison un pédagogue hors pair, à la générosité d’autant plus grande qu’elle n’était jamais naïve. La trace qu’il laisse par son œuvre et par l’impact qu’il eut auprès de tous ceux qu’il a formés est exceptionnelle. Sa recherche sur la photographie américaine prise dans sa dimension théorique et historique, dont il est l’un des premiers et des meilleurs spécialistes mondiaux, a fait et continuera longtemps à faire date. Sa « Naissance de l’idée de photographie » aux éditions PUF en 2000, son « Amérique des Images » en 2013 chez Hazan, et sa « Photographie : histoire et contre-histoire » toujours chez PUF en 2017, sont des livres exemplaires d’originalité, d’intelligence et d’érudition, de ceux qui feront pour longtemps autorité.
François avait enfin tout d’un érudit. Ancien élève de l’ENS Ulm, Agrégé de grammaire, slavisant, il avait choisi de se tourner vers les études anglophones après un séjour prolongé au Japon, lui qui cultivait, dans un cabinet de curiosités intime et entre autres, le goût de la philatélie, celui de la cartophilie, de la photographie, de l’histoire des arts, de la politique et de la pêche à la ligne. Mais rarement pareil éclectisme fut plus éclairé, plus cohérent dans ses ramifications, plus pensé. Rarement aussi ces goûts d’un autre temps furent à ce point en prise avec le temps présent. François réfléchissait toujours au plus près de la pensée la plus contemporaine, dont il connaissait à la perfection les enjeux les plus acérés et avec laquelle il entretenait l’engagement le plus immédiat avec la méticulosité et la gourmandise scrupuleuse de celui qui, ayant maîtrisé les arcanes de l’accentuation grecque et des verbes en -mi, complète ce savoir d’un goût immodéré pour le débat et l’ampleur de la chose intellectuelle dont l’anglistique, ce champ magnétique qui n’est pas un domaine mais le lieu des possibles où peuvent résonner entre eux les savoirs, lui donnait la liberté.
Mille fils, mille liens, viennent brutalement de se rompre. On rencontrait toujours François si pleinement que l’on en venait à oublier les mille autres relations tout aussi intenses qu’il avait pareillement tissées, ailleurs, et l’on s’étonne aujourd’hui du nombre de ces liens auxquels, tout simplement, nul ne pensait et qu’il était le seul à connaître : mille projets personnels et partagés, mille dialogues entamés, mille attentes resteront ainsi inéluctablement en suspens. Ces multiples non sequitur vont devoir trouver à se résoudre, tant bien que mal, mais le centre vital de tous ces tissages ne viendra plus en ordonner le dessein. Ce vide brutal au cœur du tableau est douloureux, assourdissant : il dit ce que nous avons perdu.
Jean-Marie Fournier
Directeur de l’UFR d’Études Anglophones
Laboratoire de recherches sur les cultures anglophones (LARCA)
La Présidence, ses collègues et ami.e.s de Paris Diderot s'associent à la profonde tristesse de sa famille et de ses proches. Une cérémonie d'hommage sera organisée à Paris Diderot le 25 janvier 2019 à 17h dans le Hall des Grands Moulins. |
Hommage à François Brunet dans la presse
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