Publication
-A +A

Modéliser et interroger le système agro-alimentaire

Petros Chamtzimpiros est enseignant-chercheur à l’UFR de Géographie, Histoire, Economie et Société et au Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain (LIED). Il dirige la thèse de Souhil Harchaoui, en deuxième année de doctorat. Leur dernière publication s’intéresse aux transformations du système agricole depuis la fin du XIXème siècle.

Pourquoi cette étude ?

Un enjeu important pour les chercheurs, comme pour la société, est aujourd’hui la transition énergétique : l’idée consiste à modifier notre manière de produire, de consommer etc. Les études qui s’y essayent se focalisent sur des systèmes énergétiques très spécifiques : « Par exemple, dans l’imaginaire social, le système électrique est le principal système énergétique, alors que le système agricole est, lui, rarement pris en compte dans cette réflexion. »

Ce travail cherche justement à modéliser les flux énergétiques dans le système agricole français depuis 1892, date à laquelle les données commencent à être centralisées. Ceci témoigne de son importance et de son originalité, car l’agriculture nous apporte des ressources vitales et a connu des transformations profondes, mais demeure un objet d’étude marginal dans la communauté universitaire.

Son histoire très longue (pratiquement 10 000 ans) témoigne, depuis un siècle, d’une modification radicale de notre manière de produire et du type d’énergie consommée. Les Hommes ont toujours exploité, façonné les territoires : l’agriculture est l’une des occupations principales des espaces ruraux. Cette étude constitue un maillon pour appréhender le système agro-alimentaire dans son ensemble, qui va au-delà de la production. Aujourd’hui, alors que les énergies fossiles représentent 98% des énergies utilisées par ce système, elles mettent en péril sa viabilité, sont en cours de raréfaction et dégagent des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Une réflexion devient alors indispensable sur notre manière de produire.

Pourquoi le LIED ? Pourquoi le Journal of industrial écology ?

L’interdisciplinarité du laboratoire a attiré Petros Chamtzimpiros, géographe, comme Souhil Harchaoui, ingénieur de formation. L’accent mis sur l’échelle du territoire et l’absence d’identité du laboratoire du fait de sa nouveauté sont également des éléments qui ont décidé Petros Chamtzimpiros : « Tout était possible, c’est plutôt bien pour commencer une carrière. »

La dimension énergétique du sujet sollicite également différentes disciplines d’après Souhil : « Les approches scientifiques (pour mesurer les évolutions des quantités de nutriments et d’azote), historique (pour homogénéiser et lire les données) et statistique nous ont été d’une grande utilité. ».

Une particularité de cette étude est donc qu’elle n’est « ni purement agricole ni purement énergétique ni purement de transition », souligne Petros Chamtzimpiros : c’est une étude hybride. Le choix du support de publication en a été rendu difficile. Mais, ce journal plutôt récent a été fondé avec un regard nouveau sur l’humanité comme écosystème, certes différents des naturels, mais dans lequel il convient d’étudier les flux énergétiques, les ressources et les moyens lui permettant de subvenir à ses besoins. Cette vision du monde rejoint celle des deux chercheurs, alors que le journal ne s’était jamais intéressé à l’agriculture, encore moins sur un temps aussi long.

Une agriculture auto-suffisante est donc incapable de subvenir à nos besoins actuels ?

Le système agricole français était auto-suffisant avant la première guerre mondiale : il consommait une partie des ressources produites pour son propre fonctionnement. En France, l’agriculture autosuffisante a toujours pu subvenir aux besoins alimentaires : elle n’a aucun handicap inhérent. Ce sont les niveaux de production auxquels nous sommes maintenant habitués qu’elle serait incapable de soutenir. Aujourd’hui, elle diminuerait largement le surplus alimentaire encouragé par l’utilisation d’énergies fossiles.

Petros Chamtzimpiros insiste : « Il y a compétition entre auto-suffisance et productivité. »

Mais, il faut aussi interroger notre consommation (ou surconsommation). Elle peut être indirecte : la production de viande nécessite beaucoup plus de céréales que si ces céréales étaient utilisées pour nourrir directement les Hommes. La diminution de notre consommation de viande serait donc un premier pas pour celle de notre production. Il y a aujourd’hui nécessité de repenser notre système agricole et de réduire ses consommations énergétiques. La prochaine publication de Petros Chamtzimpiros s’interrogera sur ces éléments et sur les conditions de mise en place d’un système agricole auto-suffisant.

« Dans l’esprit des politiques et du grand public, l’agriculture produit mais personne ne regarde ce qu’elle consomme. Cela parait être garanti : depuis le temps, on la maîtrise. Pourtant, se focaliser sur la production sans regarder le bilan complet du système mène à un raisonnement incomplet. » Conclut Petros Chamtzimpiros.

Laboratoire

Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain

Le LIED a pour objectif fondateur de développer « l’écologie des énergies », en menant à la fois recherches scientifiques et techniques guidées par les problèmes à résoudre dans le cadre de la transition énergétique.