La face cachée de l’écotourisme
L’écotourisme, cette forme de tourisme qui se veut équilibré, durable et responsable vis-à-vis de l’environnement et des populations locales, est-il victime de son succès ? Cette question est au cœur des travaux de Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement et chercheuse associée au laboratoire SPHERE (Paris Diderot - CNRS).
Observer les orangs-outans de Sumatra ou les gorilles du Rwanda, randonner sur les terres des Massaï ou encore plonger avec les lions de mer de Nouvelle-Zélande. Ces dernières années, les offres pour voyager solidaire et écolo se multiplient. Même s’il ne représente encore que quelques pourcents du marché touristique mondial, ce mode de voyage né dans les années 1970, avec l’amorce du « retour à la nature », connaît une croissance de 20 à 30 % par an !
Un engouement qui n’est toutefois pas sans effets secondaires. « Tel qu’il se pratique actuellement, l’écotourisme lié à la biodiversité et à la faune sauvage s’avère ainsi peu profitable pour les populations locales, celles-là même qui devraient être les premières bénéficiaires. Il n’est en aucun cas une poche de liberté ou de respect de l’autre dans un monde fondamentalement inégalitaire, comme on l’entend parfois », tempère Valérie Chansigaud.
Menaces sur les écosystèmes
L’intensification de l’écotourisme fragilise aussi les écosystèmes. « Il s’ancre dans une représentation fantasmatique de la nature, explique l’historienne. Nous nous déplaçons pour observer des lions, des ours ou des gorilles mais pas une espèce d’araignée ou de plante pourtant extraordinaire. Résultat : ce sont toujours les mêmes écosystèmes qui sont exploités au-delà de ce qu’ils peuvent supporter. »
Au point que la survie de certains animaux est menacée par l’intérêt qu’on leur porte. Au Rwanda par exemple, la valeur touristique a sauvé les gorilles de l’extinction. Mais ces singes se révèlent très sensibles aux maladies respiratoires véhiculées par les voyageurs. « Sans compter que le contact répété avec les hommes engendrent un stress aigu chez eux que l’on commence tout juste à étudier », poursuit la chercheuse.
Une nature artificialisée
Aussi respectueux de la nature soit-il, l’écotourisme entraine lui aussi une forme d’artificialisation de la nature. « Pour sécuriser le touriste, les parcs naturels sont balisés. On lui indique où aller, quoi regarder, quel comportement adopter face à tel ou tel animal … C’est une artificialisation complète d’un lieu déjà totalement artificiel. Un lieu d’où sont exclues les communautés locales soi-disant au nom de la préservation d’une nature sauvage, en réalité pour ne pas partager les profits obtenus de l’exploitation de ces espaces », déplore Valérie Chansigaud. Finalement, l’écotourisme se révèle au fil du temps avant tout une activité à vocation économique et une nouvelle forme d’exploitation de la nature. Comme le tourisme de masse.