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#3 Game of Thrones : les raisons d'un succès

 
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Effets spéciaux spectaculaires, esthétique cinématographique, complexité narrative, mode de diffusion événementiel ... Game of Thrones possède tous les ingrédients du succès.

Une série spectaculaire, à l'esthétique cinématographique

Ce qui fait d'abord le succès de Game of Thrones, c'est sa dimension épique, avec un niveau de spectaculaire qui était plutôt associé au cinéma et qui, depuis la série, est aussi associé à la télévision.

C’est à relier au fait que les technologies ont évolué. De plus en plus, depuis le tournant numérique, le cinéma et les séries TV utilisent les mêmes outils : des caméras numériques lors des tournages, des entreprises spécialisées en effets spéciaux et en conception de génériques... et le fait qu'on regarde aussi nos séries sur des écrans de meilleure définition qu’il y a 15 ou 20 ans. 

C’est aussi lié à une esthétique très soignée, qu'on qualifie souvent de « cinématographique », même si ce terme est sujet à débat parce qu’il peut instaurer une hiérarchie entre cinéma et télévision. Il n’en demeure pas moins que c’est une série qui donne à voir des scènes qu’on avait l’habitude d’en voir plutôt au cinéma : des plans larges, des scènes avec des centaines de figurants, des effets spéciaux particulièrement bien faits, des dragons qui crachent du feu sur des dizaines de navires sur l’océan. La meilleure définition de l’image permet aussi de jouer plus précisément sur la profondeur de champ ou sur les nuances de lumière. On peut prendre l’exemple de la lumière dorée et chaude des scènes qui ont lieu à King's Landing, qui contrastent avec les couleurs froides des scènes qui ont lieu avec la Garde de Nuit et tout ce qui se passe dans le Nord. 

Au sein de la série, certaines scènes ressortent, notamment par ce choix porté à l’esthétique. La mise-en-scène y permet notamment une très forte immersion du spectateur dans la fiction, par exemple dans la Bataille des bâtards (saison 6 épisode 9). Il y a d’abord des plans larges en surplomb du champ de bataille pour qu’on comprenne la configuration, qui évoquent une technique récurrente dans les grands films de guerre, de Ran au Seigneur des Anneaux. Ensuite, il y a un plan séquence où la caméra reste très proche de Jon Snow qui se bat dans une atmosphère de parfait chaos qui rappelle la grande scène du débarquement dans le film de Spielberg "Il faut sauver le soldat Ryan", où l’on avait la même restriction du point-de-vue à hauteur d’homme, qui insistait sur la proximité de l’horreur et l’illisibilité désordonnée du conflit. A ce moment dans Game of Thrones,  grâce à ce plan séquence, on est presque Jon Snow, tout au moins on est avec lui. L’immersion ressemble à ce moment-là à celle que l’on peut ressentir en tant que joueur d’un jeu vidéo. De la même manière par la suite, le personnage de Jon Snow se retrouve englouti sous une masse de cadavres, l’écran devient noir pendant quelques minutes. En tant que spectatrice, on étouffe, dans cette obscurité, sous cette couche de morts, à entendre les bruits étouffés de la bataille qui continue et le halètement de Jon qui manque d’oxygène et tente de s’extraire. Au final, il arrive à sortir la tête de cette masse et le public reprend son souffle en même temps que lui : on arrive à respirer quand lui-même retrouve l’air libre.

D'autres scènes de bataille sont filmées de façon à arrêter notre regard. Les débats ont été vifs -  notamment en ligne – autour de la bataille de l’épisode 3 de la saison 8, et ont essentiellement porté sur la lumière. La bataille se passe la nuit, et certains spectateurs ont trouvé que c’était beaucoup trop sombre et qu’on n’y voyait rien.  Le réalisateur de la série lui-même a répondu à ces débats sur twitter pour expliquer : "non ce n'est pas trop sombre ! Ça a été filmé comme ça aurait dû l'être, simplement vous ne devriez pas regarder cela sur un téléphone portable ou un téléviseur mal réglé !" Certains sites ont aussi expliqué quels seraient les réglages de l’image idéaux pour pouvoir visionner l’épisode dans les meilleures conditions.

Donc, cette attention à l’image et au son, c'est ce qui fait sans aucun doute partie du plaisir sensoriel qu’on a à regarder une série comme Game of Thrones. 

Sa force ? Sa complexité narrative 

Ce qui fait aussi son succès, c’est sa complexité narrative. Au fil des saisons, des huit années de diffusion, on connaît de mieux en mieux un très grand nombre de personnages. Ils évoluent, changent physiquement, parfois ils meurent et ressuscitent. C’est cette complexité narrative, cette capacité qu’on acquiert au fil des saisons à maîtriser les innombrables liens de ces groupes complexes, qui participe du plaisir qu’on a à regarder la série, comme cela participe au plaisir de regarder le dernier Avengers car si on est fan, on maîtrise les rouages d’un monde fictionnel extrêmement complexe.

La complexité narrative permet par ailleurs d’aborder des thématiques très variées. Cette idée d’un monde en suspens, menacé de toutes parts, résonne avec nos peurs climatiques, politiques, avec les mouvements de population, les tensions internationales...  Ce sont des thématiques universelles, rassemblées dans ce monde de fantasy qui associe des éléments de notre passé - médiéval, antique, etc. - des éléments de notre culture - avec d’innombrables références aux autres textes de fantasy comme le Seigneur des anneaux -  et qui reflètent parfaitement les grands enjeux contemporains, politiques, sociaux, culturels de notre époque. 

Un mode de diffusion "à l'ancienne" qui mise sur l'événement 

Le succès de Game of Thrones réside aussi dans le type de relation que la série a réussi à instaurer avec ses fans, avec ses spectateurs. C’est une série qui suscite les échanges, la discussion, les débats, parfois assez animés et tout cela est allié à son mode de visionnage. C’est une série "à l’ancienne", que l’on aime suivre au moment où elle est diffusée à la télévision. Cela s'oppose aujourd’hui, avec l’ère Netflix, Amazon, Hulu, aux phénomènes de binge watching où certaines séries sont mises à disposition des spectateurs sous forme d’une saison entière de dix épisodes que l'on peut les regarder quand on veut, en une seule fois même, si on le souhaite.

Game of Thrones, ce n'est pas ça. On est très attaché au fait qu’on la suit sur le moment. Notamment parce qu’il y a de tels retournements de situation, de telles scènes clés choquantes qu’on ne veut pas se faire divulgâcher l’intrigue, se faire spoiler l’intrigue. On a donc l’impression qu’il faut absolument la voir en même temps que les autres. C’est entretenu par les réseaux sociaux, par les discussions en ligne, par les productions de vidéo autour de la série, qui entretiennent une conversation très vivace entre fans. On voit que c’est le cas dans la saison 8 mais c’était le cas bien plus tôt dès la saison 1 avec la mort d’un des personnages essentiels. La série offre nombre de ces moments qu’on appelle en anglais des « Oh My God moment », des moments où ce qu'il se passe est tellement incroyable qu'on a envie d’en parler avec les autres... ce qui nécessite d’en être au même stade ! Si ça avait été une série où les 10 épisodes étaient sur le même plan, disponibles au même moment, on n’aurait pas cette même qualité d’évènementiel.

C'est l'une des qualités de Game of Thrones : de faire événement. Et on peut se poser la question de savoir si ce type de série pourra encore exister avec l’avènement du streaming, de la diffusion en continu, avec le fait que même les séries diffusées sur des chaines traditionnelles ont tendance à être vues de plus en plus a posteriori sous la forme de consommation un peu addictive.  Personnellement, je suis sûre que ce n'est pas la dernière. Il y en aura d’autres. Plusieurs modèles vont coexister: le modèle de la diffusion en continu et le modèle télévisé classique où on partage un événement spécifique comme un match de foot. C’est cette même force de la télévision de nous rassembler devant un événement qu’il soit réel ou fictionnel. 

Ariane Hudelet maître de conférence à Paris Diderot et chercheuse au LARCA

 

Laboratoire

Laboratoire de recherches sur les cultures anglophones (LARCA)

Le LARCA regroupe 50 chercheurs et 50 doctorants dans le domaine des études anglaises et nord-américaines. Avec ses multiples centres de recherche et axes de recherche originaux, le LARCA est l’équipe la plus importante en France dans son domaine.