L’esprit critique comme rempart au complotisme
Faire prendre conscience aux jeunes de leurs biais cognitifs, lorsqu’ils sont confrontés à une information contre-intuitive, permettrait de mieux les armer intellectuellement contre les fake news.
Le mal est connu : les intox et le conspirationnisme prolifèrent sur internet, séduisant notamment un jeune public sensible aux théories alternatives ou antisystèmes. « De manière générale, une information fausse se diffuse plus vite et est mieux mémorisée qu’une vraie », renchérit Gérald Bronner, professeur de sociologie à l’université Paris Diderot et spécialiste des croyances. Pour lutter contre cette tendance, le chercheur participe à deux projets comprenant des interventions en milieu scolaire.
Le premier consiste à étudier les différentes stratégies mises en place par les acteurs de l’éducation nationale, pour sensibiliser leurs élèves ou enrayer la propagation de fausses informations. « Nous sommes notamment attentifs au risque d’effet “backfire” », précise le sociologue – à savoir le fait que la désintox, lorsqu’elle émane d’un acteur perçu comme faisant partie du système, peut paradoxalement renforcer un élève dans ses croyances. La phase d’évaluation des stratégies ne sera cependant effective que dans un deuxième temps. « Pour l’instant, il apparaît qu’elles sont loin d’être unifiées ou toujours méthodiques. Ce qui est naturel, puisqu’elles répondent à une problématique relativement nouvelle. »
Apprendre à se remettre en question
C’est pourquoi une équipe dirigée par Gérald Bronner expérimentera une méthode pédagogique susceptible de rendre les jeunes moins perméables au complotisme. « L’idée est d’enseigner en même temps un savoir bien établi et les mécanismes cognitifs qui rendent son assimilation difficile », précise le sociologue. Pour prendre un exemple concret, la théorie darwinienne est à bien des égards contre-intuitive : nous avons spontanément tendance à raisonner de façon finaliste, à préjuger que l’évolution naturelle est orientée vers un objectif par exemple.
« Un biais cognitif classique consiste plus généralement à déceler une intention ou un plan derrière des phénomènes pourtant hasardeux – un phénomène omniprésent dans le complotisme. » L’idée serait donc d’enseigner la théorie darwinienne à deux groupes d’élèves : de façon classique d’un côté, et de l’autre en sensibilisant les élèves à ce biais d’intentionnalité. « Nous avons de bonnes raisons de penser que cela encourage une meilleure compréhension des phénomènes contre-intuitifs, pouvant plus généralement armer intellectuellement les élèves lorsqu’ils sont confrontés à tout type de théorie. » Le projet débute tout juste, les premiers résultats seront publiés d’ici deux à trois ans.