Pourquoi grossit-on de plus en plus ?
Notre cerveau est mal calibré pour nos sociétés d’abondance, entraînant des problèmes de surpoids encore difficiles à comprendre. Les travaux du neurobiologiste Serge Luquet, chercheur au sein de l'Unité de Biologie Fonctionnelle et Adaptative et de son équipe lèvent le voile sur les réactions des structures cérébrales impliquées dans la prise alimentaire.
« Manger pour vivre et ne pas vivre pour manger » : l’adage repose en grande partie sur une réalité scientifique, observe Serge Luquet, neurobiologiste spécialiste de la prise alimentaire. D’un côté, un groupe de neurones s’efforce d’équilibrer les prises de nourriture en fonction de nos besoins énergétiques, de sorte que nous ne stockions pas plus que nous ne dépensons. Mais il y a aussi une part de plaisir ! Cette sensation est due à la libération de dopamine via une autre population de neurones, nous incitant à renouveler l’expérience. « Plus les aliments sont gras ou sucrés, plus on produit ce neurotransmetteur », relève Serge Luquet – ce qui explique qu’un carré de chocolat soit plus tentant qu’un navet. « Cela tient à notre histoire évolutive : les premiers hommes devaient dépenser beaucoup d’énergie pour chasser et se nourrir, et les aliments riches constituaient une denrée privilégiée. » Le problème, aujourd’hui, c’est que le rapport s’est inversé. Nos modes de vie sédentaires n’impliquent pas de grosses dépenses énergétiques, et il suffirait de faire quelques courses pour manger.
Un dialogue de sourds
« Le surpoids et l’obésité sont multifactoriels, nuance Serge Luquet, mais ce changement d’environnement joue un rôle important. » À force de “shoots” de sucre et “flashs” de dopamine, le cerveau peut tendre à privilégier les circuits du plaisir sur ceux liés aux besoins énergétiques, ce qui se produit notamment en cas de d’obésité. « Normalement, la leptine, une hormone, alerte le cerveau lorsque le métabolisme arrive à satiété et bloque l’envie de manger. Nous cherchons à comprendre pourquoi ce dialogue semble parfois atténué, voire coupé. » Parmis les rares cas d’obésité dans lesquels un gène est clairement responsable on trouve une mutation du gène à l’origine de la leptine, l’empêchant de jouer son rôle. Pour le reste, c’est peut-être un cercle vicieux d’après le spécialiste : « L’obésité induit toute une série de dysfonctionnements, comme des inflammations de bas grade ou des troubles cardio-vasculaires. » Si certains d’entre eux empêchent la leptine d’agir, on deviendrait d’autant plus enclin à grossir… et à aggraver la situation.
Affamé ou repus ? Des hormones antagonistes
Lorsque le métabolisme commence à manquer de sucre, il sécrète une hormone, la ghréline, qui active une population de neurones stimulant la prise alimentaire (dits NPY et AgRP). En mangeant, on assimile la nourriture ou on la stocke sous forme de graisse. La présence de ces tissus adipeux libère à son tour une autre hormone, la leptine, qui stimule un groupe de neurones dits pro-opiomélanocortine et atténue l'activité des neurones NPY/AgRP. Dès que ces derniers sont excités, la satiété et le besoin de dépenser de l’énergie se font ressentir. « Ces deux hormones sont antagonistes, résume Serge Luquet : quand l’une est libérée, elle bloque les effets de l’autre. »
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