Présidentielle en Iran : les femmes à l’offensive
Azadeh Kian, Université Paris Diderot – USPC
En Iran, la question des droits à la citoyenneté pleine des femmes est devenue un enjeu politique majeur et un défi que les femmes ont à relever face à un régime fondé sur les inégalités entre les hommes et les femmes. C’est dans cette optique que 137 d’entre elles ont saisi l’occasion de la présidentielle du 19 mai 2017 pour se porter candidates.
Parmi elles figurait Azam Taleqani, la fille de l’Ayatollah révolutionnaire Mahmoud Taleqani, qui a été la première en 1997 des huit femmes qui ont concouru à la magistrature suprême. Souffrante, elle s’est déplacée cette année avec un déambulateur pour renouveler son défi au pouvoir du très conservateur Conseil de surveillance, nommé par le Guide, qui habilite des candidats à toutes les élections et veille à la compatibilité des lois votées par le Parlement avec l’islam et la Constitution.
Azam Taleqani s’est fait l’écho du mécontentement des Iraniennes, dénonçant avec force les tentatives des ultra-conservateurs d’exclure les femmes de la vie politique et ainsi de les enterrer vivantes.
Une solidarité émergente entre femmes
La lutte des femmes contre les inégalités et leur critique contre les lois discriminatoires – le Code civil, la loi constitutionnelle ou le Code pénal calqués sur un modèle islamique – et la sous-représentation des femmes dans les instances décisionnelles se traduisent aussi par le nombre croissant de candidates à l’élection présidentielle. Notons que la loi constitutionnelle attribue aux hommes un droit exclusif à la direction religieuse et juridique de la société (articles 5, 107 et 163), mais qu’elle reste ambiguë quant à la direction politique du pays.
L’une des conditions préalables pour accéder à la présidence est signifiée dans l’article 115 de la Constitution par le terme rajol qui désigne un homme ou une personnalité reconnue, qui – par définition – peut être aussi une femme. Mais cette ambiguïté n’a pas été dissipée jusqu’ici, aucune femme n’ayant jamais été habilitée à concourir sans qu’aucune raison ne soit fournie.
Les contradictions entre le comportement social, démographique ou culturel moderne des femmes en Iran et les lois et institutions archaïques du pays ont largement contribué à la mobilisation des femmes contre l’ordre moral et les politiques islamistes. Une solidarité a ainsi émergé entre les militantes séculières et musulmanes des droits des femmes, issues des classes moyennes urbaines, afin de lutter à travers des actions communes contre les inégalités.
Les promesses non tenues du Président Rohani
Aujourd’hui, 75 % des 80 millions d’Iraniens sont des urbains. Plus de 98 % des filles âgées de 6 à 24 ans et 83 % des femmes sont alphabétisées ; le nombre moyen d’enfants par femme n’est plus que de 2. L’âge moyen du mariage des filles est de 24 ans, et la majorité des presque 5 millions étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur sont des femmes.
Malgré la victoire du modéré Hassan Rohani, en juin 2013, et son discours en faveur de l’égalité homme-femme, les femmes continuent à être frappées de plein fouet par la discrimination à l’embauche. Faute d’emploi rémunéré, beaucoup dépendent de leurs époux pour leur survie quotidienne et mènent une vie difficile, parfois soumises à une violence domestique contre laquelle la loi ne les protège pas. La pauvreté touche davantage les femmes que les hommes, et l’on note une augmentation du nombre des prostituées dans le pays.
Le voile islamique, pourtant largement rejeté par des jeunes Iraniennes, notamment issues des classes moyennes et aisées, reste obligatoire. Rohani n’a pas tenu sa promesse de créer un ministère des Droits des femmes, il n’a pas non plus désigné de ministre femme dans son gouvernement. En revanche, il a nommé trois femmes vice-présidentes, dont deux militantes des droits des femmes et de nombreuses femmes ont été nommées à des postes de vice-ministres ou conseillères du ministre. Enfin, chose inédite dans l’histoire récente du pays, trois femmes ont été nommées gouverneures dans des villes situées dans les provinces sunnites du pays. L’Iran compte aussi de nombreuses conseillères municipales, mais seulement 1 % des maires sont des femmes.
Pour le Guide, des mères et des épouses avant tout
Face aux revendications des femmes en faveur du changement, le Guide Ali Khamenei – pour qui les femmes sont des mères et des épouses avant tout – a critiqué le comportement démographique moderne de la population, déclarant que deux enfants par femme, ce n’était pas suffisant, et que le pays pouvait assumer le doublement de sa population. La distribution gratuite de moyens contraceptifs, effectuée à partir de 1989, a été interdite en 2015. La stérilisation volontaire féminine et masculine est également criminalisée, exposant des femmes démunies, en particulier en milieu rural, aux risques de grossesse non désirée.
Les religieux conservateurs estiment que le travail des femmes à l’extérieur du foyer ne doit être autorisé que s’il s’avère nécessaire pour la survie de la famille et à condition d’être au service exclusif de la population féminine. On comprend pourquoi, malgré les 200 000 créations d’emplois par an sous Rohani, le taux de chômage augmente chez les femmes, dont seulement 13 % sont actives, selon les statistiques officielles.
Beaucoup d’entre elles sont contraintes de travailler dans le secteur informel dans des emplois mal payés et sans couverture sociale. Aux législatives de 2016, où 18 femmes instruites, actives et issues de la société civile se sont faites élire (dont 10 en province), des jeunes électrices brandissaient des affiches et banderoles portant le slogan « Mâ kâr mikhâhim » (« Nous voulons du travail »), soulignant l’importance primordiale de l’emploi dans leur définition de la citoyenneté.
Créer un rapport de force
Comme à chaque élection, les militantes des droits des femmes et des millions d’électrices hésitent entre l’abstention et le vote pour le moindre mal. Dans une déclaration signée par 200 militantes des droits des femmes à l’approche de la présidentielle, elles demandent une meilleure participation des femmes à l’activité économique du pays, l’abolition des lois discriminatoires, l’encouragement des activités sportives des femmes ou encore l’établissement d’un quota d’attribution aux femmes de 30 % des postes décisionnels.
Pour nombre d’entre elles qui n’ont plus d’illusion quant à la volonté des candidats d’introduire des changements radicaux dans le statut légal des Iraniennes, seule la montée en puissance de la société civile est susceptible de changer les rapports de force en faveur des droits des femmes. C’est la raison qui les conduira à aller aux urnes et à voter contre les candidats ultraconservateurs.
Azadeh Kian, Professeure de sociologie et directrice du CEDREF
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Crédit photo : Atta Kenare/AFP