Delphine Delacour ou la culture de la cellule
En février dernier, Delphine Delacour a reçu le prix de recherche sur les maladies rares de la Fondation Groupama. Étudiant les mécanismes à l’origine d’une pathologie intestinale, la biologiste est parvenue, avec son équipe de l’Institut Jacques-Monod, à faire croître des cellules sur des puces biomimétiques. Cette dotation va lui permettre d’envisager de possibles pistes thérapeutiques.
En cette fin de matinée de printemps, le laboratoire de l’équipe « Adhésion cellulaire et mécanique », installé au quatrième étage de l’Institut Jacques-Monod de Paris, est en effervescence. Une vingtaine de chercheurs et d’étudiants en blouses blanches s’activent devant leurs paillasses. Certains observent avec attention le contenu d’un flacon de culture cellulaire tandis que d’autres répertorient les centaines de récipients qui s’alignent au-dessus de leur plan de travail. À l’écart de l’agitation, Delphine Delacour peaufine la rédaction d’un projet d’étude scientifique visant à reproduire les effets de la dysplasie épithéliale intestinale (DEI) sur l’organisation des cellules de l’intestin.
« Cette pathologie congénitale rare provoque bien souvent dès la naissance des malformations de la paroi intestinale qui empêchent de digérer correctement les aliments, ce qui nécessite de placer très tôt ces enfants sous alimentation par intraveineuse pour limiter l’insuffisance intestinale résultant de la maladie », explique-t-elle.
Depuis bientôt cinq ans, la chercheuse s’efforce de décrypter, au niveau cellulaire et tissulaire, les phénomènes physico-chimiques et mécaniques qui déclenchent les symptômes de la DEI. Pour ce faire, elle a développé avec les autres scientifiques de son laboratoire un ingénieux système expérimental permettant de suivre le développement de cellules épithéliales de l’intestin tel qu’il se déroule dans notre tube digestif. « Avec ces puces biomimétiques, il devient possible de reproduire la structure en doigts de gant caractéristique du tube digestif mais aussi de moduler toute une série de paramètres physico-chimiques, ce qui était impossible jusqu’ici à partir de cultures cellulaires classiques », détaille Delphine Delacour.
À la croisée de la physique et de la biologie
Après une thèse en lien avec la biochimie des cellules cancéreuses de l’intestin, soutenue en 2004 à l’université de Lille, la biologiste intègre l’université Phillips de Marbourg, en Allemagne, pour y effectuer un postdoctorat centré sur l’imagerie cellulaire. En collaboration avec le Pr Hans-Peter Elsässer, elle se familiarise par ailleurs avec les techniques d’histologie et de microscopie électronique : « Cet éminent professeur d’histologie a su me convaincre de l’intérêt du travail sur tissu vivant, sans lequel je n’aurais pu m’approprier les techniques d’histologie de pointe que j’utilise désormais au quotidien pour caractériser les échantillons tissulaires prélevés chez les patients atteints de DEI ».
À l’issue de son séjour postdoctoral, Delphine Delacour rejoint l’Institut Jacques-Monod en 2008 où elle est très vite recrutée comme chargée de recherche. Dans les années qui suivent son retour en France, les travaux sur les voies biochimiques du développement tissulaire ou cancéreux, qu’elle mène dans l’équipe de Françoise Poirier, demeurent purement fondamentaux. En 2013, la création de l’équipe pluridisciplinaire « Adhésion cellulaire et mécanique », un étage au-dessous de son laboratoire, lui offre enfin l’opportunité de mettre en application les connaissances d’analyse des tissus acquises en Allemagne. « Le fait que l’hôpital Necker, situé à proximité de l’Institut, soit le centre de référence mondial pour les maladies rares digestives intestinales a évidemment beaucoup compté dans ma décision de construire un projet scientifique associé à la recherche clinique sur la DEI ». Dans sa nouvelle équipe, Delphine Delacour s’impose très vite comme un maillon essentiel entre les physiciens et les biochimistes de son laboratoire, avec lesquels elle conçoit les formes microscopiques destinées à mimer l’architecture de la paroi interne du tube digestif, et les gastro-entérologues de l’hôpital Necker qui réalisent les biopsies de muqueuses intestinales chez les patients atteints de DEI.
Vers des applications thérapeutiques
En parvenant à faire croître des cellules intestinales sur ces puces biomimétiques, l’équipe de Delphine Delacour a déjà franchi une étape importante dans cette recherche à visée thérapeutique. L’article publié en janvier 2017 dans la revue Nature Communications*, constitue un pas de plus vers cet objectif.
Dans cette étude, les chercheurs sont en effet parvenus à démontrer le rôle essentiel, dans la structuration de la paroi intestinale, d’une molécule dont la fabrication est inhibée chez les enfants souffrant de dysplasie épithéliale. Des résultats qui permettront, à terme, de cibler des substances chimiques susceptibles de rétablir le bon fonctionnement de la paroi intestinale. « Cette première publication dans une revue de très haut niveau nous a permis d’obtenir une visibilité internationale sur un sujet de recherche qui reste encore très marginal », ajoute la scientifique.
Grâce au prix de la Fondation Groupama, décroché dans la foulée de cette publication, Delphine Delacour espère désormais donner une dimension plus applicative à son projet de recherche. Avec ce financement de 500 000 euros sur cinq ans, elle a embauché un spécialiste de la physique des biomatériaux, qui rejoindra le groupe en septembre. Le savoir-faire de cette nouvelle recrue sera mis à contribution pour développer une nouvelle génération de puces biomimétiques intestinales encore plus réaliste. Étoffer régulièrement les compétences de son équipe, c’est pour Delphine Delacour l’assurance de mener une recherche à la fois dynamique et fructueuse. « La manière dont j’envisage le métier de chercheuse a beaucoup été influencée par les démarches scientifiques de Daniel Louvard ou de Philippe Sansonetti », souligne-t-elle. Deux biologistes de renom qui ont obtenu des résultats marquants en mettant l’accent sur l’interdisciplinarité. Une source d’inspiration qui semble de bon augure pour cette biologiste inventive.
* « Contractile forces at tricellular contacts modulate epithelial organization and monolayer integrity », J. Salomon, C. Gaston, J. Magescas, B. Duvauchelle, D. Canioni, L. Sengmanivong, A. Mayeux, G. Michaux, F. Campeotto, J. Lemale, J. Viala, F. Poirier, N. Minc, J. Schmitz, N. Brousse, B. Ladoux, O. Goulet, D. Delacour, Nature Communications, janvier 2017, vol. 8 : 13998.
Article issu de CNRS le journal
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