Que se passe-t-il dans la ceinture équatoriale de Titan ?
Dans un article publié le 17 avril dernier dans la revue Journal of Geophysical Research, une équipe de recherche composée de Jeremy Brossier (Institut de recherche Planétaire à Berlin) et de Sébastien Rodriguez (Institut de physique du globe de Paris et LabEx UnivEarthS) a fourni de nouvelles perspectives quant à la formation et l’évolution des terrains équatoriaux de Titan.
Pendant ces treize dernières années (2004–2017), la mission Cassini-Huygens a permis une réelle révolution dans l’exploration de Titan, la plus grosse lune de Saturne. Cette mission a révélé que Titan est, en bien des aspects, très similaire à la Terre. Titan est une version gelée de la Terre, où le méthane agit comme l’eau, et la glace d’eau peut être aussi dure que la roche. Malgré ses caractéristiques exotiques, Titan subit une riche variété de processus d’atmosphère et de surface qui sont analogues à ceux de notre planète. Titan étant entièrement enveloppé d’une atmosphère dense composée de diazote, méthane et de particules solides organiques, l’observation directe de sa surface est uniquement possible via les données radar, ainsi que les données infrarouges dans des intervalles de longueurs d’onde spécifiques.
Les images SAR de l’expérience RADAR de Cassini ont permis d’identifier plusieurs types de terrains sur la lune, et d’évaluer leur distribution globale, notamment pour les lacs et les dunes. Les lacs sont essentiellement confinés autour des pôles, tandis que les dunes dominent la ceinture équatoriale. Si la nature et la distribution géographique des ces unités géomorphologiques majeures semble être bien comprises grâce aux images SAR, la morphologie précise, mais aussi l’origine et la nature du matériau composant ou recouvrant ces différents terrains, sur lesquelles reposent la compréhension de l’histoire géologique et climatique de Titan, restent encore largement débattues.
Les lacs polaires sont remplis d’hydrocarbures liquides, alors que les compositions des autres terrains n’ont pas été clairement définis à ce jour. Dans Brossier et al. (2018) l'équipe de recherche a tenté de retrouver ces informations et de fournir de nouvelles perspectives sur la nature, l’origine et l’évolution des principaux terrains observés dans le contexte climatique particulier (aride à semi-aride) des basses latitudes, tels que les dunes, les montagnes et les plaines. Pour ce faire, ils ont appliqué un modèle de transfert radiatif nouvellement mis-à-jour (Maltagliati et al., 2015) sur les observations infrarouges acquises par le spectromètre imageur VIMS (Visual and Infrared Mapping Spectrometer) à bord de Cassini dans le but d’évaluer les effets atmosphériques et de retrouver la contribution de surface (albédo) pour chacune des régions d’intérêt.
Afin de compléter cette analyse de composition en comparant l’albédo de surface sur Titan avec des composés candidats, l'équipe a développé et utilisé un modèle de mélange spectral pour créer une vaste librairie de mélanges binaires pour la glace d’eau et les solides organiques atmosphériques, les deux candidats supposément majoritaires pour la composition de surface sur Titan, en variant les fractions de mélanges et tailles de grains. En effet, la glace d’eau est supposée former la couche/croute supérieure de Titan (Tobie et al., 2005), tandis que les tholins sont produit par photochimie dans l’atmosphère et se déposent sur la surface depuis des temps géologiques (Tomasko et al., 2008).
Finalement, en mettant ensemble l'analyse de composition et les observations géomorphologiques, les chercheurs ont fourni de nouvelles perspectives quant à la formation et l’évolution des terrains équatoriaux de Titan. Les différences dans les compositions retrouvées proviendraient des différences dans l’érosion mécanique et le tri granulométrique par les processus alluviaux, et le mélange par les processus éoliens. Les dépôts organiques ou « poussières » atmosphériques tendent à dominer la surface de Titan, recouvrant ainsi les montagnes et les plaines. Ce matériel organique peut être transporté en aval par des processus fluviaux suite aux pluies d’hydrocarbures, et ensuite balayé par les vents pour former les dunes dans les basses terres, exactement comme dans les zones de transition que l’on retrouve dans les déserts terrestres, des terrains montagneux creusés de lits de rivières (oueds) vers les déserts de pierres (regs) et déserts de sable (ergs).
Ainsi, à travers cette étude, les scientifiques ont montré que les basses latitudes de Titan subissent des processus géologiques très similaires à ceux se produisant dans les régions arides sur Terre, en accord avec les prédictions des modelés climatiques pour Titan.
Référence
Geological evolution of Titan’s equatorial regions: Possible nature and origin of the dune material
Journal of Geophysical Research (Planets).
Le 17 avril 2018
Brossier, J. F., Rodriguez, S., Cornet, T., Lucas, A., Radebaugh, J., Maltagliati, L. et al. (2018).
Auteurs
Contribution de Jeremy Brossier, Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt (DLR), Institut de Recherche Planétaire à Berlin (Allemagne). En collaboration principale avec Sébastien Rodriguez et l’équipe de Planétologie et Sciences Spatiales de l’Institut de Physique du Globe de Paris (USPC – Université Paris 7-Paris Diderot/CNRS).