Des ondes calcium aux origines de la digestion
Pour comprendre comment fonctionne le moteur "intestin", Nicolas Chevalier, physicien au CNRS - Laboratoire Matière et Systèmes Complexes, remonte le fil de son assemblage dans l’embryon, en observant les intestins aux stades les plus précoces de leur fonctionnement.
Lorsque nous mangeons une tartine, celle-ci est acheminée dans le tube digestif par un mouvement ondulatoire de la paroi de l’intestin : c’est le réflexe péristaltique. Cette onde comprime l’intestin en amont du bol alimentaire et le dilate en aval, ce qui a pour effet de le propulser. C’est l’existence de ce mouvement propre de la paroi intestinale qui fait que, par exemple, les spationautes peuvent digérer même en l’absence de pesanteur. Ce réflexe implique une coordination complexe entre neurones sensibles aux déformations de l’intestin, et muscles qui se contractent radialement et longitudinalement pour permettre un transport optimal du bol alimentaire.
Des anomalies du péristaltisme sont à l’origine de nombreux troubles digestifs. « Le réflexe péristaltique ne s’apprend pas à la première tétée du bébé, mais se met en place progressivement au cours du développement embryonnaire, commençant vers la 6ème semaine de gestation chez l’humain », explique le chercheur.
Dans une étude parue le 24 septembre 2018 dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society B, le physicien a filmé pour la première fois les fluctuations spontanées de la concentration en ions calcium à l'intérieur des cellules de muscle lisse de l’intestin, lors des premiers mouvements digestifs de l’embryon aviaire, sur des organes maintenus vivants et actifs in vitro. Ces oscillations électrochimiques se propagent de cellule en cellule sans perte d’amplitude - on parle d'onde calcium. Le calcium provoquant la contraction du muscle, l’onde calcique entraîne une onde de contraction mécanique … péristaltique. Ces ondes peuvent être vues en incorporant dans les cellules des marqueurs fluorescents ; on peut alors suivre en vidéomicroscopie en même temps la déformation de l’intestin, et la variation de la concentration en calcium dans les cellules musculaires embryonnaires. « L’intestin embryonnaire est ainsi parcouru d’un ballet incessant d’ondes qui naissent, se propagent et s’annihilent lorsqu’elles s’entrechoquent».
Le chercheur a par ailleurs montré que les cellules musculaires réagissent à la moindre pression appliquée en générant une paire d’ondes calciques contra-propagatives s’échappant du point de compression. « Dans l’adulte, la forme de la réponse est asymétrique, la pression du bol alimentaire crée une contraction des muscles en amont et une relaxation en aval, permettant le transport du bol alimentaire dans une direction. Il y a fort à parier que les neurones de l’intestin établissent plus tard dans le développement cette asymétrie, en réprimant une des ondes calciques au profit de l’autre » confie le chercheur. Ces recherches permettent d’ores et déjà de comprendre comment un réflexe digestif fondamental a pu apparaître au cours de l’évolution pour permettre de répondre aux besoins énergétiques grandissant des animaux. Elles promettent de renouveler notre compréhension de la dynamique complexe de l’intestin adulte, et des pathologies qui lui sont liées.
Chevalier NR. 2018 “The first digestive movements in the embryo are mediated by mechanosensitive smooth muscle calcium waves.” Phil. Trans. R. Soc. B 20170322. http://dx.doi.org/10.1098/rstb.2017.0322