Vous êtes ici

Rencontre
-A +A

Ciel mon logiciel !

Les logiciels ont envahi notre vie quotidienne et gouvernent désormais nos existences. Pour maîtriser cette toute puissance, certains chercheurs en informatique plaident pour la transparence de leurs codes sources et leur utilisation sans restriction. Parmi eux, Roberto Di Cosmo, professeur d’informatique à Paris Diderot, directeur de l’IRILL*.

 

DiderotInfos : Pourquoi la problématique du logiciel libre n’est-elle pas seulement une affaire d’experts mais présente un enjeu essentiel pour le grand public ? 

Roberto Di Cosmo : Pour comprendre cet enjeu procèdons à une analogie. Prenons le Code civil. Tout le monde y a accès mais seuls les initiés, les professionnels du droit en comprennent les ressorts et peuvent nous conseiller. Alors pourquoi publier les textes de lois, nous pourrions les réserver aux experts ? Mais même si je ne comprends pas, je peux payer un professionnel qui va défendre mes intérêts, m’expliquer la loi et l’utiliser pour obtenir des résultats. C’est important que ce soit ouvert, c’est la démocratie. La loi appartient à tout le monde. C’est exactement la même chose avec le code source d’un logiciel. Si un logiciel ne fait pas ce que vous attendez de lui, l’individu, l’entreprise, la puissance publique doit pouvoir intervenir. Vous pouvez payer des experts ou avoir recours à un service informatique pour adapter le logiciel comme vous le souhaitez et vérifier sa sécurité. C’est la liberté de l’utilisateur. Il ne doit pas être esclave de la personne qui lui vend le logiciel. 

 

DiderotInfos : Défendre le logiciel libre peut s’apparenter à une forme de militantisme ? 

R. Di Cosmo : Il y a en effet une grande sensibilité aux questions de protection de la vie privée, des données personnelles et de la liberté. Le fait de vouloir bien comprendre la technologie et ce qu’il y a derrière nous ouvre les yeux. Le clivage n’est pas politique au sens droite / gauche, peu importe la sensibilité. Des pans entiers de nos vies sont gérés par des logiciels : que deviennent les données personnelles, c’est une question essentielle dans le monde moderne.

 

DiderotInfos : Comment les grandes compagnies se positionnent-elles sur cette problématique ? 

R. Di Cosmo : On peut dire qu’il n’y a quasiment plus aujourd’hui de logiciels qui ne contiennent pas au moins une partie libre. La plupart des innovations modernes se bâtissent sur un socle énorme de logiciels libres. L’informatique est devenue tellement complexe que l’on ne peut pas partir de zéro. Quand on veut créer un site web, on agence des briques qui viennent d’un peu partout et particulièrement du monde des logiciels libres. Même des entreprises comme Microsoft qui en était une ennemie jurée a complètement changé de point de vue et possède un département entier baptisé Microsoft Open tech. 

 

DiderotInfos : Comment ce système est-il viable sur le plan économique si tout est gratuit ? 

R. Di Cosmo : Le monde du logiciel tel qu’on le connaît a été entièrement construit sur la rareté de la seule chose qui ne l’est pas : la copie. Or dans le monde numérique celle-ci ne coûte rien si ce n’est un peu d’espace sur un disque dur. Le logiciel libre met à bas ce mythe de la rareté construite par l’usage des droits d’auteur. Alors est-ce que tout s’effondre si l'on raisonne ainsi ? Seul s’effondre l’artifice de la rareté. Il faut considérer qu’elle ne réside plus dans le fait de dupliquer mais dans la compétence qui permet de comprendre, d’adapter un logiciel. Ce qui est rare et qui n’est pas gratuit c’est la capacité d’industrialisation c’est-à-dire de vérifier sa sécurité, faire des tests de qualification, de certification, il faut fournir des infrastructures, un environnement, faire de l’infogérance : surveillance et maintenance. Une économie énorme se développe autour de cela. En Ile-de-France, plus de 500 000 personnes travaillent dans le domaine des technologies de l’information tous secteurs confondus, il y a une vraie richesse. 

 

DiderotInfos : Quelle est la situation en France ? 

R. Di Cosmo : Nous avons la chance d’avoir en France une présence forte du logiciel libre plutôt en avance par rapport au reste de l’Europe. Le chiffre d’affaires pour le logiciel libre est de 4 milliards d’euros, sur un total de 45 milliards pour l’ensemble du marché logiciel en France soit presque 10%. Il y a du développement, de l’adaptation, de la formation, de l’infogérance, une variété de modèles économiques autour du logiciel libre le tout sans vente de licence. Au sein du pôle de compétitivité Systematic il existe un groupe thématique dédié au logiciel libre. Il y a près de 130 membres issus des PME et des grandes entreprises, des laboratoires, des centres de recherche, des universités. Son objectif est de faire de la recherche sur les nouveaux défis portés par le développement du logiciel libre. 

 

DiderotInfos : Vous organisez la 2e édition de l’Open source innovation spring, quel est le but de cet événement ? 

R. Di Cosmo : Sous la bannière du logiciel libre nous rassemblons différents événements. Nous avons rencontré un énorme succès l’an dernier et pour cette édition nous attendons plus de 1 000 participants. Le public est très varié, ce qui surprend beaucoup. On retrouve des collègues fidèles mais aussi de nouveaux venus, des gens de l’entreprise, de l’administration, des ministères. La clé du succès de ces conférences ? La durée des pauses café. Rien de tel pour susciter les rencontres, de nouvelles connexions, des collaborations, un réseau…
 
 
*IRILL : Cette structure mixte INRIA / Paris Diderot / UPMC est un endroit qui a vocation à mettre ensemble des chercheurs intéressés par la recherche dans ce domaine sur ces nouveaux défis du logiciel libre : améliorer la qualité, mettre au point des techniques d’analyse de grandes masses de code, développer des langages de programmation. C’est l’endroit où aller pour trouver des points de contact avec des chercheurs dans le domaine du logiciel libre.