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Pourquoi les professionnels de santé doivent se former à la « santé connectée »

par Boris Hansel, Université Paris Diderot et Patrick Nataf, AP-HP

Qu’il s’agisse d’améliorer le parcours de soin, de fournir une assistance à distance à un chirurgien, de mieux surveiller les maladies chroniques ou, d’une façon générale, d’optimiser les parcours de soin, la santé connectée est en train de bouleverser l’organisation du système de santé.

Au cours des dernières années, la santé connectée est aussi devenue une nouvelle discipline de recherche, ce qui s’est naturellement accompagné d’un besoin de formations diplômantes.

Qu’est-ce que la « santé connectée » ?

Dans son acception la plus large, l’expression « santé connectée » recouvre la télémédecine (acte médical à distance tel que défini par la loi) et le télésoin (acte à distance réalisé un pharmacien d’officine ou un professionnel de santé), les objets connectés en santé, les applications de télésuivi (échanges de données à distance permettant de suivre un patient) et d’e-coaching (programme d’aide au changement de comportement qu’il soit ou non automatisé), l’intelligence artificielle ainsi que toutes les solutions diagnostiques et autres outils numériques en rapport avec la santé et le bien-être.

L’espoir suscité par ces nouvelles technologies dans le domaine médical est d’apporter des solutions dans la prise en charge des patients et dans l’organisation du système de soins, aussi bien en terme de prévention que pour le traitement des maladies. À l’heure actuelle, l’intérêt de la plupart de ces outils numériques n’est pas scientifiquement avéré. La preuve de leur efficacité reste souvent encore à apporter. Cependant, on ne peut s’en désintéresser.

En effet, certains objets connectés et, surtout, leur utilisation dans le cadre d’un parcours de soin bien structurés, ont montré leur intérêt médical. C’est par exemple le cas dans le domaine du traitement de l’hypertension artérielle et du diabète : l’utilisation d’un auto-tensiomètre ou d’un lecteur d’auto-surveillance de la glycémie, avec envoi des données aux soignants pour qu’ils puissent optimiser le traitement à distance, ont déjà fait la preuve de leur efficacité.

Des publications scientifiques de qualité commencent à faire émerger des solutions prometteuses dans d’autres domaines, comme celui de l’insuffisance cardiaque ou du cancer. Ainsi en France, la télésurveillance médicale de l’insuffisance cardiaque (ainsi que du diabète) est prise en charge dans le cadre d’une expérimentation à grande échelle, le programme ETAPES.

Les nouvelles applications de l’intelligence artificielle (IA) doivent aussi être surveillées de près : en dermatologie, des travaux récents ont par exemple démontré la performance d’une technique basée sur l’intelligence artificielle pour le diagnostic de mélanome.

Principaux domaines d’application

En terme de nouvelles technologies appliquées à la santé, trois grands axes se dessinent depuis quelques années :

  • Le parcours de soins à distance avec le développement de la téléconsultation (consultation médicale à distance), de la télésurveillance (surveillance à distance d’un patient et de sa pathologie), de la téléexpertise (expertise apportée à un soignant par un spécialiste sur un problème particulier) et du télésoin (pratique de soins à distance utilisée par un soignant non médecin). Les objets connectés et applications diverses s’intègrent dans ces parcours de soin, à condition d’être correctement prescrites et utilisées par les soignants et les patients. Former les prescripteurs et les développeurs devient une priorité.

  • L’intelligence artificielle est en train de révolutionner la prise en charge des malades, en particulier en raison de la création d’algorithmes permettant améliorer le diagnostic. Ici encore, fournir des connaissance aux étudiants et professionnels pour comprendre en quoi consistent vraiment les techniques recourant à l’IA sera une des missions des universités.

  • La réalité augmentée et virtuelle et ses applications en médecine ainsi qu’en chirurgie ouvrent également de nouvelles perspectives. La réalité virtuelle est par exemple utilisable dans le traitement des troubles phobiques en psychiatrie : l’immersion de patients dans un univers virtuel évoquant les situations phobiques fait régresser leurs symptômes. Elle pourrait aussi devenir un outil pédagogique pour l’enseignement de la médecine et des techniques chirurgicales.

Une opération collaborative de l’épaule, assistée par réalité augmentée, réalisée en 2017 dans un hôpital de l’AP-HP (cette vidéo contient des images de chirurgie qui peuvent heurter certaines sensibilités).

Preuve s’il en est de l’intérêt suscité par ces nouvelles technologies : après l’apparition de quelques revues pionnières, en particulier le Journal of Medical Internet Research, les grands journaux scientifiques se sont également positionnés sur ce créneau. Ils ont ainsi créé des revues dédiées, telles que The Lancet digital Health ou Nature Digital Medicine. Les universités, elles aussi, se positionnent, même si l’offre de formation n’en est encore qu’à ses débuts.

Un manque d’offre de formation

Si, dans les écoles d’ingénieurs et de commerce, de nouveaux enseignements dédiés à la santé connectée sont apparus il y a moins de cinq ans, la situation est différente dans les facultés de médecine. Jusqu’à très récemment, la santé connectée n’était pas enseignée au cours des études médicales, ni dans les cursus de formation du personnel paramédical et administratif.

Les choses sont cependant en train d’évoluer, et des formations universitaires ont récemment vu le jour un peu partout en France, tel que le diplôme interuniversitaire (DIU) de la Société française de télémédecine. Ces formations proposent des diplômes apportant des connaissances théoriques sur des volets spécifiques de la santé connectée (juridiques, éthiques, télémédecine…).

Pour compléter cette offre de formation, un enseignement pratique, pluridisciplinaire et généraliste sur la santé connectée a été créé en 2018 à l’université Paris-Diderot. Celui-ci insiste particulièrement sur la mise en situation, au travers de la conception d’un projet d’e-santé. Sa particularité est de regrouper, au sein d’une même promotion, des étudiants et professionnels d’horizons divers (ingénieurs, juristes, soignants…). Cette pluridisciplinarité vise à favoriser non seulement l’acquisition des connaissances, mais aussi les retours d’expérience, positifs comme négatifs, qui font parfois défaut pour mener à bien les projets de santé connectée.

La mise en place de formations de haut niveau est indispensable si l’on veut négocier correctement le virage numérique qui s’annonce en santé. C’est d’autant plus important que dans notre pays, les débouchés en santé connectée promettent d’être nombreux : le marché français de la santé connectée pèserait selon la direction générale des entreprises 3 milliards d’euros, et 410 milliards d’euros pourraient être investis d’ici 2022 dans le secteur de la santé, sur les services numériques et les objets connectés.The Conversation

Boris Hansel, Médecin, Maître de conférences des universités-praticien hospitalier, Inserm U1138, Université Paris Diderot et Patrick Nataf, Chair professor, AP-HP

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.