Dans les secrets des territoires de l’attente
Pendant quatre ans, le sociologue Dominique Vidal, membre de l’UMR Unité de recherche Migrations et société (URMIS), a participé au programme de recherche ANR TERRIAT, dédié à l’étude des populations déplacées, ou en déplacement, sous l’angle des territoires de l’attente. Quais de gare, camps de transit, services administratifs : espaces clos ou ouverts, ces territoires sont multiformes et reformulent le rapport entre l’espace et le temps.
Les territoires de l’attente ont-ils évolué au cours de l’histoire contemporaine ?
Les lieux d’attente ont toujours été des « entre-deux », spatiaux et temporels. Dans le cas des migrations, on retrouve des constantes liées à l’entrée dans le nouveau pays : les lieux destinés à la réception des populations, comme ce fut le cas aux États-Unis sur Ellis Island au début du XXe siècle, et comme il en existe aujourd’hui, à Calais ou à Lampedusa. Les évolutions que l’on observe sont surtout d’ordre technique ; elles s’illustrent, par exemple, à travers la mise en place de procédures d’enregistrements biométriques. Dans le contexte actuel, l’organisation de l’attente et l’efficacité de la gestion des flux revêtent un enjeu de sécurité de plus en plus prégnant. On a ainsi vu disparaître le « ticket de quai » des gares françaises, pour les accompagnateurs des voyageurs. L’enjeu économique s’est également accru : des sociétés internationales sont aujourd’hui spécialisées dans le conseil sur l’organisation de l’attente, sans parler du développement de nombreuses formes de commerces, légales et illégales, pensées en fonction des temps d’attente.
Comment l’expérience de l’attente varie-t-elle d’une catégorie d’individu à l’autre, entre hommes et femmes par exemple ?
L’expérience de l’attente est généralement, pour tous, un moment douloureux, car son issue est incertaine. Elle peut être vécue différemment selon la nationalité par exemple, mais aussi selon le genre. Bien qu’ils vivent une même attente, les femmes et les hommes s’approprient l’espace-temps différemment. Je pense, par exemple, aux cas de figure où les sexes sont séparés physiquement, comme ce peut être le cas dans certains camps de réfugiés, pour prévenir les risques d’agression. Mais cette séparation peut aussi éloigner les membres d’une même famille. Dans les situations où la foule qui attend est nombreuse et pressée, à l’instar de ce que j’ai observé sur les quais des trains de banlieue de São Paulo au Brésil1, la loi du plus fort prévaut sur celui de la file d’attente. Les hommes sont évidemment avantagés, et pour les femmes qui n’auront pas de place assise, l’attente du train annonce déjà un voyage difficile, voire dangereux.
1 L’article Cohues, brutalité et civilité dans les trains de banlieue à São Paulo de Dominique Vidal paraîtra en mai 2018 dans la revue Brésil(s)